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lundi 21 octobre 2013

"We are such stuff as dreams are made on", Chronique de The Tempest, Shakespeare

Prospero, Henry Fuseli


"We are such stuff as dreams are made on" IV, 1.

  Dernière pièce de Shakespeare, jouée en 1611, The Tempest est une tragédie pleine de surprises - ou plutôt, une tragicomédie. En effet, retournement de situation, après tant de pièces aux ressorts terribles (on se souvient du "deed" de Macbeth et des mains couvertes de sang de Lady Macbeth, du fratricide à l'origine de Hamlet, ou encore de la passion meurtrière dans Othello), la dernière pièce de Shakespeare est étrangement... exempte de morts et de conspirations terribles. Il y a certes conspiration, trahison, et même vengeance (la tempête elle-même, qui donne son nom à la pièce, est causée par Prospero afin de punir ses ennemis), mais dans l'ensemble, le déroulement de la pièce est singulièrement doux. A ce titre, elle m'a presque fait penser au Songe d'une nuit d'été, qui elle aussi était une pièce où le féérique occupait la première place, et où les diverses querelles se résolvaient sans causer de heurts.

  Il y a bien des ressemblances avec le Songe d'une nuit d'été, notamment tout le parallèle entre un personnage surpuissant (ici, Prospero, sorcier confirmé) qui dirige de nombreux autres personnages qui semblent être ses sous-fifres, et... le statut de dramaturge.

"O brave new world
that has such people in't" V, 1

Miranda, John William Waterhouse

  Douze ans avant le début de la pièce, Prospero a été victime d'une conspiration nourrie par son frère qui lui enviait son statut de Duc de Milan, et le roi de Naples. Laissé à la dérive sur un radeau avec sa fille Miranda, il a fini par échouer sur une île dont il s'est rendu maître, traitant le seul natif de l'île (Caliban) comme son esclave, et portant secours à Ariel, un esprit des airs, qui est devenu son serviteur en remerciement. Douze ans plus tard, Prospero a enfin l'occasion de se venger : ses anciens ennemis passent en bateau non loin de l'île, et il déclenche une tempête pour qu'ils échouent et se retrouvent à la merci de lui et de ses sorts. Ariel l'aide dans ses desseins afin de gagner sa liberté, tandis que Caliban, adoptant l'attitude opposée, ne cesse de se rebeller et se fait des amis des ivrognes du bateau afin de conspirer contre Prospero (pendant comique de la pièce par rapport à la conspiration plus sérieuse nourrie par les nobles, qui eux, ont vraiment réussi à exiler Prospero).

Prospero et Ariel, William Hamilton
  Prospero se moque bien de tout ça. Le fils du roi Alonso, Ferdinand, échoue sur l'île lui aussi, et il est très content de voir sa propre fille, Miranda, et Ferdinand tomber amoureux très rapidement ; c'est le couple de jeunes premiers un peu inévitable de la pièce. On a un Ferdinand très courtois, et une Miranda naïve et pleine de charmes, même si elle parvient à temporairement renverser son rôle de temps en temps, en se montrant plus dure ou plus sexuellement ouverte que ce à quoi on pourrait s'attendre (elle propose notamment à Ferdinand d'être sa maîtresse si jamais il ne veut pas l'épouser). Mais ces jeunes premiers ne sont jamais que les pions de Prospero ; de manière générale, tous les personnages sont les pions de Prospero, et l'île est son échiquier géant. Ce qui rend les personnages de la pièce difficiles à aimer, d'ailleurs : d'un côté on a Prospero qui est au-dessus du statut de personnage, car il est un metteur en scène, un dramaturge sur scène... et de l'autre côté, on a tous les autres personnages, qui sont des sous-personnages car il est évident que leurs moindres faits et gestes, leurs pensées, etc., sont commandés par Prospero. 

"Our revels now are ended. These our actors, 
As I foretold you, were all spirits and 
Are melted into air, into thin air: 
And, like the baseless fabric of this vision, 
The cloud-capp'd towers, the gorgeous palaces, 
The solemn temples, the great globe itself, 
Yea, all which it inherit, shall dissolve 
And, like this insubstantial pageant faded, 
Leave not a rack behind" IV, 1.

  Honnêtement, ce qui m'a le plus séduite dans cette pièce, c'est toute la métonymie du théâtre sur scène. J'ai un faible pour les mises en abyme, et évidemment, là, j'ai été servie. Si on retire cette métonymie, la pièce n'a franchement pas de quoi rivaliser avec les grands chef-d'oeuvres de Shakespeare (et certainement pas avec King Lear, ma pièce favorite entre toutes comme vous le savez peut-être déjà). Très peu de suspense, on se doute du déroulement et de l'aboutissement des choses dès le début... pas de sentiments violents ni de déchaînements époustouflants. Non, c'est surtout l'histoire d'une vengeance qui se termine "bien", et en quelque sorte, une parodie de tragédie... les personnages essentiellement comiques comme Caliban, Trinculo, et Stephano (autant de bouffons ou de fous, d'ailleurs), ont bien plus de substance que les personnages potentiellement dangereux comme Alonso, Sebastian, et Anthonio, qui ont causé l'exil de Propsero. D'ailleurs, Caliban est un personnage plutôt limite, dont on pourrait dire de manière anachronique qu'il questionne presque la légitimité du colonialisme, dans la mesure où il représente la nature dénaturée par Prospero, qui l'a mis à son service en arrivant sur l'île, et lui a appris le langage de la servitude... et en même temps, Caliban est un personnage dont le discours est très poétique quand il met sa fureur de côté, donc il est capable de détourner ce langage de servitude que Prospero lui a inculqué.

"Those are pearls that were his eyes" I, 2.

Ariel, Henry Fuseli

 Il y a bien un personnage un peu plus "limite" dans la pièce, le seul personnage vraiment intéressant avec Prospero et Caliban selon moi, dans la mesure où tous les autres sont des accessoires : je veux bien sûr parler d'Ariel, sorte d'esprit des airs, fée mâle, androgyne s'il en est, capable de se transformer en harpie, mais aussi de jouer des airs enchanteurs... Ariel est l'instrument principal de Prospero ; sans lui, les pouvoirs de Prospero ne sont guère étendus. Et en même temps, Ariel est lié à Prospero par la magie, il est son serviteur et ne peut s'échapper. Prospero a donc tous les pouvoirs sur lui, et on ne peut pas vraiment dire que Ariel fasse concurrence à Prospero ; toutefois, un peu dans le même cadre que Puck dans le Songe d'une nuit d'été, Ariel est l'agent principal de la pièce.




  Et pour terminer, je vous mets ce trailer de The Tempest, 2010, avec Helen Mirren dans le rôle de... Prospera (oui, ils ont travesti de le personnage principal !), et Ben Wishaw dans celui d'Ariel. Je n'ai pas encore vu ce film, mais il me tarde (surtout que j'adore ces deux acteurs).



5 commentaires:

  1. Je suis ravie de voir cet article, et surtout ravie que tu aies apprécié la pièce ! Je l'ai lue deux fois, en français, et je me souviens l'avoir beaucoup aimée, plus que Macbeth à l'époque. The Tempest est l'œuvre que je vais étudier en littérature britannique après la Toussaint, j'ai vraiment hâte de la décortiquer. J'ai surtout envie de voir ce que j'en pense aujourd'hui, de savoir si mon avis a changé ou non :). Comme d'habitude (ça devient lassant), c'est une magnifique chronique.

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    1. Ah oui, c'est vrai que tu l'étudies cette année ! Je t'envie, ça va être tellement cool de pouvoir l'interpréter en cours... je n'ai jamais vraiment eu de cours sur Shakespeare, quelques explications de texte à la va-vite (mais au deuxième semestre, j'ai un séminaire sur Shakespeare organisé par mon tuteur qui est un excellent professeur, donc j'ai terriblement hâte d'y être !).

      Et merci du compliment, huhu ;D

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  2. Belle chronique. :) Cette pièce de Shakespeare est dans ma wish depuis un petit moment.
    Le trailer du film est plutôt sympa !

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  3. Tu vas tellement réussir à me faire lire du Shakespeare :p ta chronique m'a trop plu et puis, la bande-annonce est vraiment cool ! (en plus, Ben Wishaw, PLEASE).
    Et évidemment, l'apparition du mot "androgyne" a pris toute une dimension dans mon cerveau tourmenté !
    J'vais aller voir dans ma bibli si j'ai cette pièce de Shakespeare ^^ comme j'ai plusieurs livres avec 3 à 4 pièces dedans, y'a moyen !

    P.S : T'as vu ça, j'ai laissé un COMMENTAIRE ! Notre petite conversation de tout à l'heure m'a redonnée espoir, force, sagesse et grandeur !

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    1. Haha, je savais que j'allais t'appâter avec l'androgyne (et Ben Wishaw, comme tu le dis si bien, PLEASE).

      Félicitations pour ton retour bloguesque \o/

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«Il faut tout dire. La première des libertés est la liberté de tout dire»
Maurice Blanchot

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